par Chantal Roy
Je devais avoir 6-7 ans.
Je me souviens encore des insultes du genre que recevait mon grand frère, pourtant pas plus noir qu’une pinte de lait, en se faisant lancer des bananes.
On revenait du Tchad en Afrique. Mes parents y avaient été missionnaires religieux pendant plus de 20 ans avant de se rencontrer, de défroquer, puis de fonder une famille. On avait peut-être besoin d’un peu de temps pour s’adapter à notre nouvelle vie. Simplement.
C’était il y a plus de 30 ans.

Chantal Roy
AUJOURD’HUI :
– Le garçon d’un ami se fait rejeter par une fillette de la garderie qui ne veut pas jouer avec lui parce qu’il a la peau «brune et sale».
– J’entends une conversation dans un lieu public : «cette fille-là, elle est belle pour une Noire!»
– Un ami se fait étrangement souvent intercepter par la police sur la route: semble-t-il qu’un métis au volant d’une voiture qui vaut cher, c’est louche!
– Parce que j’ai été en couple avec « des hommes de couleur », on me dit: «tu peux pas juste être avec un gars NORMAL?»
– Je reçois ce message anonyme: «y a pas assez de Québécois à Matane, fallait que tu te pognes un Arabe!»
– Mon copain envoie un courriel à un proprio pour un appartement à louer. On lui répond: «Désolé, M. Ben Abdallah, déjà loué». J’envoie ensuite le même courriel: «Oui Mme Roy, vous pouvez venir visiter».
Ça se passe ICI, autour de nous, quotidiennement. Je pourrais continuer longtemps cette aberrante liste. Vous pourriez aussi certainement compléter.
On fait quoi alors? Suite au meurtre par un policier de l’Afro-Américain George Floyd survenu le 25 mai dernier aux États-Unis, je me sens en colère et impuissante, mais je ressens une responsabilité de faire quelque chose, à commencer par en parler.
Je pense qu’il faut cesser de chercher à tout prix un coupable (ex. les méchants Américains). Le danger de toujours mettre la faute sur les autres, c’est de se déresponsabiliser et ne plus rien faire individuellement pour que ça change. Ne nous contentons pas de simplement affirmer «je ne suis pas raciste». Soyons une coche au-dessus, soyons ANTIRACISTES, soyons encore plus intolérants face aux injustices raciales qu’on peut l’être face à la cruauté animale. Pour combattre l’ignorance, la peur de la différence, l’indifférence, il faut en parler, éduquer, s’informer, DÉNONCER, s’introspecter aussi: ne pas prendre pour acquis que nous-mêmes ne tenons jamais de propos à saveur raciale.
Il faut aussi ÉCOUTER ce que les personnes noires (et toutes leurs nuances de teintes) ont à dire à propos de leur vécu et, surtout, ne pas minimiser la situation, dédramatiser, dire que c’est moins pire qu’avant, moins pire qu’ailleurs, etc. J’ai fait ça déjà, j’en conviens. Quand on y pense, c’est tellement insultant! Qui suis-je avec ma peau blanche pour prétendre que je sais?!
Et puis, est-ce vraiment moins pire qu’avant? Avant, il n’y avait pas Internet, les réseaux sociaux, la mondialisation. Au plan scientifique, on comprenait moins aussi ce qui expliquait les différences physiques entre les êtres humains. Avec les communications qui ouvrent sur le monde, avec les connaissances d’aujourd’hui aux plans génétiques et biologiques, on ne peut plus plaider l’ignorance. À ce compte-là, ça me paraît même PIRE d’être témoin encore en 2020 d’autant de racisme.
Ma responsabilité de non-Noire, c’est de me sentir consternée et concernée par les réalités que vivent les personnes noires. C’est de sensibiliser mon enfant, lui faire prendre conscience que sa simple couleur de peau lui confère une multitude de privilèges qui n’auraient pas lieu d’être et dont il ne faut surtout pas nier l’existence. C’est aussi lui donner des outils pour qu’à son tour elle fasse partie de ceux qui luttent.
Parce que les femmes et les hommes noirs n’y arriveront pas seuls.
Déjà, on l’a vu, ils ont le souffle coupé.
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