Par Danielle Ross
Dans mon Temps
Eh ! Non je n’écrirai pas cela
Le Temps ne m’appartient pas
alors dans ma petite jeunesse
l’attente de Noël commençait bien tôt
Peut-être en octobre avec les gâteaux aux fruits
Maman faisait macérer ses fruits dans l’alcool
et cuisait les gâteaux
Une fois terminés
elle les enveloppait dans un coton à fromage
Toutes les semaines jusqu’à Noël
elle les arrosait de cognac
du vrai cognac
et une gorgée pour la cuisinière je l’espère…
Puis en novembre
le cousin du rang 2 Roland nous livrait une partie de cochon
Nous disions du cochon pas du porc
Papa découpait la viande avec une scie
un soir de novembre entouré de ses petits derniers
Maman hachait la viande dans le moulin
Le fameux moulin à viande
Au début nous voulions tous hacher
Et puis on se tannait de tourner la manivelle
et maman continuait et continuait
Ici surgit dans ma mémoire les parfums de Noël
Les épices mélangées
Maman mettait le porc haché dans un grand chaudron
Oignons, viande, un peu d’eau (pour ne pas que cela colle)
et les épices
L’odeur de la viande qui mijote sur le poêle à bois
C’était savoureux
Maman préparait la pâte
et tous ces pâtés s’en allaient au froid
Novembre gelait
Et Hop ! Dans la dépense
Les gâteaux eux étaient à la cave
(Oui une vraie cave en terre)
bien ficelés dans du coton à fromage
Un autre soir, c’était la confection du gâteau roulé
Quand maman le démoulait sur une grande serviette
c’était l’inquiétude sur son visage
Va-t-il rester entier ?
Elle réussissait toujours pourtant
Et les beignes aussi un autre soir
Les meilleures beignes du monde entier
« Ne pas manger avant Noël »
Et Hop ! Dans la dépense
Nous faisions des petits gâteaux
ce qu’on appelle maintenant des Cup Cake
quelque part en décembre
Nous avions droit après les avoir glacés de les décorer
de croquer dans les petites boules d’argent
C’était magique
« Ne pas manger avant Noël »
Et Hop ! Dans la dépense
La nourriture s’accumulait
Maman continuait d’imprégner ses gâteaux aux fruits de cognac
Et pendant tout cela elle nous aidait aux devoirs, aux leçons
faisait le lavage, le ménage, cousait, boulangeait
aidait ses voisines
Elle lisait vite le dernier livre reçu du Cercle du Livre de France
ou celui que mes sœurs lui avaient envoyé
Mes grandes sœurs parties travailler en ville
et elle écrivait à sa famille…
À l’approche de Noël
quand il était revenu du chantier
papa allait couper l’arbre
Des fois il ne revenait pas pour Noël
Je ne sais pas qui nous apportait l’arbre si papa n’était pas là
Probablement maman
Elle savait tout faire
L’arbre trônait dans son pot plein d’eau dans le salon
et attendait sagement de se faire décorer
Le 22 décembre maman coupait le bœuf, le porc,
dépeçait le poulet et préparait le cipâte pour le réveillon
Oignons, petits morceaux de lard salé, épices mélangés
dans le fond de la chaudronne
Pâte par-dessus
Et Hop ! dans la dépense
Il restera au froid jusqu’au 24
Le 24 tôt on décorait l’arbre nous les enfants
Le cipâte dans le four et son parfum
les boîtes de boules colorées
la crèche
les cadeaux
Le taxi du village était « monté » à Mont Joli
chercher mes sœurs et aussi mon frère au train du CN
Elles arrivaient belles comme des photos des magazines
C’était la fête
Les cadeaux s’entassent sous l’arbre
Vers 7 h nous allions nous coucher
À 11 h on nous réveillait pour la messe de minuit
Nous partions tous
Sauf maman
Il faisait froid
Tous les gens du village marchaient souvent silencieux
Les plus jeunes plus bruyants
Les hommes fumaient sur le perron de l’église
C’était long long long long cette messe
J’enfouissait mon nez dans le manteau de ma grande sœur
Et je m’endormais… un peu
L’orgue d’Alice Simard
et Le Minuit Chrétien entonné par Midas Roy me réveillait
Monsieur le Curé bénissait l’assemblée
Il était tard dans la nuit
Et là c’était la course
Qui arriverait la ou le plus vite ?
Dans tout le village à chaque maison
ca sentait le cipâte
Nous courions dans la petite rue
de la côte à Pierre Paul
La rue de Prés maintenant
Je voyais par la fenêtre l’arbre allumé et les chandelles sur la table
Maman nous attendait debout
Tellement belle Maman avec son rouge à lèvre
et sa jolie robe, cadeau de mes sœurs
La table était mise
Le gâteau aux fruits, les cornichons le cipâte, les tourtières
les petits pains tout chauds
Du vin pour les grands
Des jus pour nous
La belle vaisselle
Maman était heureuse
Mais je me dis souvent maintenant
Elle devait être si fatiguée, tellement fatiguée
Ma Mère si vaillante
Nos Mères si vaillantes
Commentaires