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Légende de la tourtière fumée de Saint-Ulric

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par Olivier Garot

Un homme raconte: J’étais assis… sur le fleuve… je me laissais dériver… C’était un beau matin de juillet 2017, le 21, pas de vent, ma pagaie caressait la surface de l’eau.

Je suis sorti de ma somnolence maritime lorsque le ballet a commencé. D’énormes avions-citernes frôlaient le clocher du village de Saint-Ulric et venaient se ravitailler en eau dans le fleuve. On voyait un gigantesque rideau de fumée blanche monter jusqu’au ciel, cela venait de la tourbière! Ces machines aux ailes déployées, dans un bourdonnement continu, déchargeaient généreusement des milliers de litres d’eau saumâtre sur le brasier que je ne pouvais qu’imaginer vue du fleuve.

Près de la tourbière devait se donner, justement aujourd’hui dimanche, une fête de village; on inaugurait le jardin communautaire. Je me souviens que des dizaines de tourtières avaient été préparées pour l’occasion.

Je rentre alors vivement vers la plage, dépose mon kayak et décide d’aller voir plus proche si on avait besoin d’une aide quelconque.

Je remonte la Route Centrale à pied. Plus j’approchais, plus la boucane était dense, j’avais la sensation d’être dans une brume épaisse, la même que celle qui recouvre le fleuve parfois. Un blanc opaque et dense.
J’ai su que j’étais rendu à la tourbière quand mes pieds ont commencé à s’enfoncer dans une bouette épaisse et mouillée. Je ne voyais rien. Chaque pas me donnait l’impression de marcher sur l’eau… je ne savais plus où j’étais…

Tout un coup, j’ai entendu un phoque… dans la tourbière…?! un gémissement proche du phoque gris, vous savez le plus gros avec son museau de cheval. Le gémissement était proche, mais le brouillard de boucane m’aveuglait, je ne pouvais même pas voir mes mains au bout de mes bras. Je me concentrais donc pour écouter le gémissement comme on écouterait les cloches d’un bateau-phare dans la brume pour éviter un banc de sable. C’était mon seul repère et cette pluie qui tombait des avions-citernes ne me facilitait pas les choses.

À tâtons, je parviens à saisir quelque-chose de dur… je tire, je tire, je tire… une racine. Pourtant je suis très proche. Je trouve autre chose, c’est plat, on dirait un énorme bec de canard… je tire, je tire, je tire… c’est une palme! Je la mets dans mon sac et continue à chercher… à nouveau quelque-chose, je tire, je tire, je tire… une autre palme. J’étais content, je n’en avais pas, je la mets elle aussi dans mon sac. Je continue, le gémissement est là… tout proche…, j’attrape autre chose, plus mou, je tire, je tire, je tire… c’était un pied, le pied d’un plongeur! Je lui enlève son masque, je le mets dans mon sac, j’étais content je n’en avais pas, et essaie de porter secours à cet homme. Je venais de comprendre… il avait été aspiré par un avion-citerne et recraché dans la tourbière.

L’homme respirait. Je lui ôte sa ceinture de plomb pour gagner un peu de poids, je l’aurais bien gardé, j’en avais pas, mais là cela commençait à faire trop lourd. Je hisse le plongeur sur mon dos et je commence à marcher… je ne savais pas vraiment vers où… j’ai marché, marché en essayant de m’éloigner du cœur de la brume, la tourbière était détrempée et la boucane ne se dissipait toujours pas… jusqu’au moment où j’ai mis les pieds sur du gazon, la terre ferme. Après quelques pas je me suis retrouvé nez à nez avec le chapiteau déserté où devait se donner la fête du village… Sur les tables, il y avait des tourtières prêtes à être servies. Affamé par mes efforts, le plongeur toujours sur le dos, je me coupe une part… une explosion de bonheur pour mes papilles… la tourtière avait un petit goût de fumée de tourbe qui la rendait exquise.

Ayant repris des forces, je repars à la recherche d’une maison, pour appeler des secours… j’appelais, jusqu’à trouver la route, puis une maison. Je frappe, on m’ouvre, je laisse le plongeur sur le sofa en attendant que les secours arrivent.

Moi, je repars, mais pas vers le village, vers les tourtières fumées! Je réussi à retrouver la table, et j’en prends une bonne dizaine dans mes bras, puis je regagne la route et redescends vers le village.

Au Parc des Rives, il y avait beaucoup de monde qui regardaient cet immense toit de fumée, incrédules. Mes tourtières ont été très bien accueilli car il était bientôt midi. Ce petit goût de fumée a ravi tous les palais. Surtout M. Dubé, l’épicier, qui à lui tout seul a dû en manger une entière…

Je suis rentré chez nous, j’ai pris des nouvelles du plongeur qui allait bien, il avait été aspiré parce qu il ne s’était pas signalé avec une bouée, alors qu’il cherchait son drone qui était tombé dans le fleuve.

Épuisé, je me suis endormi… en rêvant de tourtière fumée flottant dans la boucane.

Et puis, croyez-moi, croyez-moi pas, depuis ce 21 juillet, une spécialité est née! Chaque mercredi dans l’épicerie du village, on peut déguster la plus exquise des tourtières, la tourtière fumée à la tourbe de Saint-Ulric… un régal!

Découvrez une artiste de chez nous : Sylvie Prégent

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