par Valérie Blanchet
C’est en pétrissant que l’on devient boulanger (pour reprendre cette phrase célèbre qui dit que c’est en forgeant que l’on devient forgeron), que l’on comprend les secrets de la pâte, comment elle absorbe l’eau, comment elle devient de plus en plus élastique au fur et à mesure qu’elle est travaillée par la main et la force du bras. Dans mes amitiés et mes contacts sur les médias sociaux, je ne compte plus les gens qui ont commencé à faire leur pain (ce qui pourrait expliquer que les étagères de farine dans les épiceries soient quasiment vides depuis les deux derniers mois…). Mieux, certains ont osé et réussi à faire leur premier pain au levain, un procédé plus difficile à maîtriser au niveau de la fermentation*.
Dans un billet précédent, je vous parlais de l’oncle et de la tante de mon conjoint qui avaient une cabane à sucre. Ils nous racontaient, en faisant bouillir le sirop, qu’ils ne savaient rien du procédé à suivre quand ils se sont lancés dans cette aventure il y a une dizaine d’année. Lorsqu’ils étaient enfants, ils avaient observé les adultes autour d’eux qui faisaient bouillir l’eau d’érable dans un grand chaudron de fonte sur un feu, mais ça se résumait à cela. Ils ont appris sur le tas, par essai, erreur, en parlant à l’un et à l’autre. Et depuis, ils continuent de perfectionner leur méthode afin d’obtenir un meilleur rendement à chaque année. Le constat que j’ai fait en les observant travailler est qu’ils n’étaient aucunement affectés dans leurs activités quotidiennes par la crise généralisée qui brasse le monde en ce moment. Et ce n’est pas parce qu’ils sont indifférents à ce qui se passe, mais COVID ou non, c’était le temps des sucres et ils étaient au milieu de la forêt à entailler les érables, à récolter la sève et à la faire bouillir comme ils le font à chaque année.
Tous deux sont nés sur des fermes de la région, à une époque où les gens vivaient de la terre, complètement indépendants du système ou presque, c’est-à-dire qu’à part quelques produits comme le sucre qu’ils achetaient et la farine qu’ils devaient aller faire moudre au moulin, leurs parents vivaient en complète autonomie alimentaire à partir du lait de leurs vaches, des œufs de leurs poules, des animaux dont ils faisaient boucherie, de la cueillette des petits fruits et de la culture des légumes. Ils faisaient leur pain, leur beurre, leurs confitures, cousaient leurs vêtements et tissaient leurs couvertures. Il reste une génération qui a connu ce mode de vie et beaucoup de personnes dans notre communauté, je pense ici au Cercle des fermières, gardent vivants certains de ces savoir-faire.
Aujourd’hui, nous nous appuyons sur les industries pour nous alimenter, pour nous vêtir et cela a permis à la société de progresser grandement, parce que reconduire sa vache dans le pré pour la faire brouter tous les matins afin qu’elle nous donne son lait, duquel on récupérera la crème, puis barrater cette crème pour en faire du beurre que l’on pourra étendre sur son pain, est un processus long et laborieux. Mais tout ce progrès nous a aussi retranché d’une portion de l’existence humaine. Désormais, nous sommes très dépendants du camion de fruits et de légumes importés qui pourra ou non traverser la frontière. Nous n’effectuons plus ces gestes créateurs de vie: filer la laine pour la tisser, semer la graine pour voir pousser la carotte que l’on ajoutera dans sa soupe, récolter l’eau d’érable pendant plusieurs semaines, la faire bouillir pendant de longues heures pour faire le sirop. Le monde industriel a allégé notre mode de vie, mais du même coup nous a coupé d’un savoir-faire composé d’une multitude de gestes et de connaissances non écrites pour assurer notre survie et cultiver notre santé.
Alors, j’ai envie de vous dire : lancez-vous! C’est en jardinant que l’on devient jardinier! Préparez vos semis pour la saison qui s’en vient. Essayez-vous à planter quelques semences en terre, des fleurs, des légumes et voir ce qui arrivera avec ce projet. Regardez-les germer, observer les pousses se fortifier et grandir un peu plus chaque jour grâce à la lumière du Soleil, à l’eau et aux nutriments du sol. Parlez de vos expérimentations avec vos proches, avec vos voisins, allez glaner des informations sur internet ou dans des livres sur le jardinage.
En se réappropriant ces connaissances pratiques, nous renouons aussi avec quelque chose de très important : nous devenons les créateurs de notre existence. S’ensuit un plus grande autonomie vis-à-vis des grandes industries, ce qui peut nous permettre ensuite de faire des choix plus éclairés sur ce que nous trouvons acceptables ou non dans leurs pratiques. L’autre apport, et peut-être le plus important, est d’avoir cette opportunité de se trouver aux premières loges pour observer les mécanismes du monde vivant et retrouver cette symbiose de l’humain à son environnement, dans le respect des rythmes et des cycles de la nature.
* Si commencer un levain naturel, faire sa propre choucroute ou tout autre transformation alimentaire qui implique la fermentation vous intéresse, je vous suggère de visiter le blogue «Ni cru, ni cuit» qui contient une mine d’information pour réaliser et réussir ses fermentations: https://nicrunicuit.com
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