CollaborateursJuillet

Ouvre tes cornes, un texte de Danielle Ross

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Par Danielle Ross

 

Yé ! C’est l’été.

Les sacs d’école ont été remisés dans la garde-robe en haut de l’escalier.

Nos petits souliers de toile tout neufs attendent fébrilement sur le seuil de la porte.

Nous sommes en vacances jusqu’en septembre.

« Ouvre tes cornes ou ben non je te tue.

Ton père et ta mère sont sul’ bord de l’eau. »

 

L’été est là et nos vacances sont sur la grève et sur les roches.

Nous sortons en courant de la maison.

Nos chouclaques neuves aux pieds.

Nous passons sur le terrain de Joseph Edmond.

Sur celui de Noëlla Gagnon.

Sous le regard de madame Léonie Tremblay, sur le balcon de la grande maison verte, aujourd’hui disparue.

En ce temps il n’y avait pas de pancarte :

Terrain privé ou Défense de passer.

C’était le territoire de toutes et tous, et de nous, les enfants.

Sauf chez monsieur Raoul, là nous contournions.

« Ouvre tes cornes ou ben non je te tue.

Ton père et ta mère sont su’l bord de l’eau. »

 

Il y avait une roche qui était très spéciale, comme une table entourée d’eau.

On s’asseyait tout autour.

Nous prenions des petits colimaçons dans l’eau ou bien accrochés sur la roche.

Ils étaient bien à l’abri dans leur coquille.

Nous les tenions entre nos doigts et nous chantions :

« Ouvre tes cornes ou ben non je te tue.

Ton père et ta mère sont su’l bord de l’eau. »

Et là c’était magique.

Les petits escargots ouvraient leurs cornes.

Nous les remettions dans l’eau et on recommençait avec un autre.

Je sais maintenant que c’est la chaleur de nos doigts qui les faisait s’ouvrir.

Eux habitués à la mer glacée… pas nos menaces.

Parfois, venait s’asseoir avec nous un garçon très vieux.

« Un homme faite » comme on disait, mais avec une âme d’enfant.

Les gens murmuraient tout bas : « Le pas fin du village. »

Il prenait ce petit coquillage entre ses mains et avec sa grosse voix répétait comme nous.

« Ouvre tes cornes ou ben non je te tue.

Ton père et ta mère sont su’l bord de l’eau. »

Et son visage s’illuminait quand le colimaçon répondait à son appel.

Nous n’osions rire.

Notre mère nous disait toujours d’accepter la différence chez les autres.

Nous faisions du mieux que l’on pouvait.

 

Nous retournions à la maison après cette virée sur les roches.

Moi je pleurais parce que j’avais égaré mes souliers neufs.

Maman revenait avec moi sur la grève.

Et nous les retrouvions toujours.

 

Au printemps 2024 avec ma sœur Diane, nous sommes retournées sur la grève de notre enfance.

Il nous a fallu trouver le chemin permis :

Accès à la mer, entre l’ancienne caisse populaire et le presbytère.

Nous avons regardé les maisons de notre enfance.

Celles du bedeau Levasseur, d’Yvette et de Roger Lamarre.

Nous nous sommes souvenus de la grande maison d’Adrienne Levasseur.

Et toutes les autres déplacées par les grandes marées quand le quai fut démoli.

Nous avons marché vers la mer.

Nous avons cru avoir retrouvé notre roche après tout ce temps.

Les petits colimaçons s’agrippaient encore au rocher comme dans notre enfance.

Et répondaient à notre comptine.

Rien ne change chez les colimaçons.

« Ouvre tes cornes ou ben non je te tue.

Ton père et ta mère sont su’l bord de l’eau. »

 

Bon été et profitez du magnifique fleuve.

Et des petits coquillages.

 

 

 

Le Comité culturel de Saint-Ulric

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