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L’hiver et le fleuve

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par Valérie Blanchet

Pendant mes années d’études, j’ai côtoyé par les mots des éléments de l’hiver présents dans l’environnement de Saint-Ulric. Outre les lectures qui mettaient en situation ces phénomènes hivernaux, ma perception de ceux-ci est restée dans une forme d’abstraction jusqu’à notre arrivée ici. C’est donc avec grand plaisir que j’observe le fleuve depuis que le froid s’est installé et que je découvre ces facettes de l’hiver que je ne connaissais pas encore.

 

 

Alors que la langue inuite comporte plus de quarante mots pour décrire les différentes textures que peut prendre la neige, la langue française n’en comporte qu’un seul. Le vocabulaire est donc très limité pour dire ce qui se passe ici près de six mois par année. On a tiré du langage populaire un anglicisme, la « slush » ou sloche, cette texture de neige remplie d’eau qui fait sacrer le piéton citadin qui se fait arroser par les voitures qui passent trop près de lui et propulsent cette substance mouillée et salissante sur son beau manteau de ville!

Face à la pauvreté de la langue française pour dire la réalité du froid (la France possédant un climat moins rigoureux) et ayant l’obligation de décrire l’hiver et la géographie du Québec dans ses travaux, le géographe québécois Louis-Edmond Hamelin a assemblé au cours de sa carrière un lexique de mots et d’expressions issus de régionalismes, d’anglicismes ou encore des langues autochtones, et utilisés couramment dans la langue parlée au Québec, mais qui étaient absents des discours officiels de la langue française. Au fil du temps et de la diffusion de ses recherches à l’étranger, il a précisé le sens de certaines de ces expressions pour en affiner la définition. Il a ainsi forgé plusieurs mots nouveaux pour décrire des phénomènes de notre réalité nordique et contribué à ce que ceux-ci soient introduits dans les dictionnaires afin d’en officialiser l’usage. Je vous partage ici quelques-uns des néologismes qu’on lui doit, s’il vous prenait l’envie de poétiser sur le beau paysage nordique du fleuve à Saint-Ulric et décrire toutes les formes de l’eau qui se fait prendre par le froid.

Ainsi, au mois de décembre, j’ai pu observer la texture de l’eau se transformer en un épais magma. Les vagues soulevaient lourdement l’eau qui était alors bourrée à sa surface de cristaux de glace. Impossible à celle-ci de se défaire en mousse sous l’effet du vent ou lorsque la vague aboutissait sur la plage. Cette texture de l’eau se nomme « frasil ». Quand la marée monte et défait la banquise temporaire qui s’était figée sur les bords du fleuve, de gros blocs de glace partent à la dérive et vont rejoindre le courant, ces blocs se nomment « glaciels », un dérivé du latin, glacies. Au gré des marées, les couches de glaces qui figent, se font soulever et craquent, puis s’entassent dans des amas de croûtes glacées se nomment « bouscueils ».

Et ce beau paysage mouvant, se fait et se défait au gré du froid et des marées. Ainsi un matin, on aperçoit la banquise blanche à l’infini, semée de bouscueils parfois impressionnants. Le lendemain, on voit par la fenêtre, dériver les glaciels, libérés par la montée de la marée et un petit redoux. Dire, nommer le monde qui nous entoure, le territoire, le froid, la nordicité qui caractérise notre environnement, est une manière de s’approprier cette réalité par les mots, on peut alors l’introduire dans les histoires que l’on raconte aux enfants pour leur enseigner la vie. Le voyageur peut apprendre ces mots et raconter à son retour, les beautés uniques de ce bout de pays qu’il a visité.

Quelques ouvrages de Louis-Edmond Hamelin sont disponibles à la bibliothèque de Matane et vous feront découvrir la richesse de ses travaux et réflexions. Si vous voulez connaître le lexique répertorié par Hamelin, je vous invite à consulter Le Québec par des mots. L’Hiver et le Nord (2002). Si ma présentation a piqué votre curiosité et que vous aimeriez découvrir le parcours exceptionnel de cet homme qui a mené un travail pluridisciplinaire, à la fois comme géographe, nordiste, enseignant, chercheur, linguiste, je vous recommande la lecture de son autobiographie intitulée L’Âme de la terre. Parcours d’un géographe (2006), dont j’ai personnellement beaucoup apprécié la lecture.

Musique : Marie-Pierre Arthur

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