Par Marcelle Gendron
C’était le 24 décembre. Ma mère Elmire se préparait à fêter Noël avec ses six enfants, dont un encore au berceau, et son frère Étienne qui s’occupait des travaux de la ferme pendant l’absence de papa. Un triste Noël s’annonçait pour elle sans son mari qui travaillait dans les chantiers de la Côte-Nord comme la plupart des hommes de la paroisse.
Heureusement, grand-mère Adèle devait arriver après le souper pour passer les Fêtes avec nous. Quelle joie à l’idée d’écouter grand-maman raconter des histoires ! C’était une conteuse extraordinaire. Elle connaissait Le Petit Poucet, Le Chat Botté, Cendrillon, les loups garous, la Corriveau… Nous passions par toutes les émotions en l’écoutant. Elle savait aussi beaucoup de chansons et elle nous enseignait des mots anglais qu’elle avait appris en travaillant dans les facteries à Fall River aux États-Unis où demeuraient plusieurs de ses frères et sœurs. Nous pensions aussi à son excellent sucre à la crème.
À Saint-Ulric, comme dans toutes les régions agricoles du bas du fleuve, les hommes traversaient au nord dès la fin des récoltes et revenaient au début de mai après avoir fait la drave. Les gens étaient pauvres et les bûcherons pouvaient subvenir aux besoins des leurs de cette façon. Papa avait déjà prévu nos cadeaux de Noël. Il avait demandé à Albert Pelletier, qui avait une boutique de bois, de fabriquer une belle traîne rouge pour les grands et un cheval de bois pour les petits. Il avait caché ces trésors dans la remise.
Maman avait reçu un beau livre par la poste la semaine d’avant. Papa avait trouvé dans un magasin de Baie-Comeau, Maria Chapdelaine, de Louis Hémon. Il avait glissé une belle lettre et un billet de dix dollars à la première page. Lui avait reçu au campe un beau gilet, des gants et des bas que maman avait tricotés avec la laine du pays. Elle avait ajouté une boîte de sucre à la crème dans laquelle elle avait inséré une carte de souhait dessinée à la main.
Cette année-là, dans la région de Baie-Comeau, il n’y avait pas de neige.
Le fleuve était dégagé et les bateaux et les goélettes faisaient encore des voyages à Québec. Dans les chantiers plus au nord, les hommes bûchaient et attendaient la neige pour transporter le bois avec les chevaux. Les contracteurs voyaient s’accumuler d’immenses cordes de bois. Les conducteurs de chevaux d’impatientaient en se voyant forcés d’attendre à ne rien faire au campe durant la période de Noël. Il y avait peut-être une solution.
Très à bonne heure, le patron, Edmond Michaud, descendit au bord avec son commis, un dénommé Pelletier. Le soir, il était remonté au campe et avait annoncé que deux bateaux étaient au quai et qu’ils pouvaient traverser à Matane. Le commis pouvait donner une avance de salaire pour ceux qui voulaient aller dans leur famille, le retour se ferait le 27 décembre. Plusieurs de ces bûcherons, qui avaient maintenant des cheveux gris, n’avaient que quinze ans lors du dernier Noël passé avec leur famille. Ils avaient peine à croire qu’ils pourraient traverser chez eux pour ce Noël 1942.
Le 24 décembre, à la maison, ça sentait bon les cretons, les pâtés à la viande et le cipaille. Avec son dix dollars, maman avait acheté des bonbons, des pommes et des oranges. Dans la soirée, elle allait en remplir les bas accrochés au pied de la croix suspendue dans la grande pièce qui servait de cuisine et de salle de séjour et où le gros poêle à bois chauffait à plein régime depuis le petit matin. Mon oncle devait apporter le traîneau et le cheval de bois quand nous serions au lit.
Grand-maman avait cousu un beau pyjama à chacun de nous, roses, pour Ghislaine, Marcelle et Colette et bleus, pour Robert, Ghislain et Gaston. Pour maman, elle avait tricoté au crochet un beau châle et pour mon oncle Étienne, elle avait acheté en cachette chez le marchand général du village les mitaines de cuir qu’il désirait tant.
Après le souper, nous étions impatients. Il y avait du mystère dans l’air. Grand-maman devait arriver d’une minute à l’autre. Ça y était, on entendait des clochettes. Une carriole arrivait devant la maison. Maman s’était empressée d’ouvrir la porte croyant accueillir sa mère. Et elle avait vu devant elle son mari Alcide qui riait de sa surprise. Pour nous les enfants, le petit Jésus et Père-Noël ne nous auraient pas rendus plus heureux. Embrassades suivies de cris de joie qui avaient rempli la maison. Grand-maman était arrivée à ce moment. C’était elle qui allait nous garder durant la messe de minuit.
Ce fut une messe mémorable dans la grande église de Saint-Ulric où l’on chantait des cantiques. Pour une première fois en plus de vingt ans, les grosses voix des bûcherons se mêlaient à celles fluettes des enfants de Marie.
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Ma sœur Marcelle avait cinq ans en 1942. L’automne avait été exceptionnellement doux et le Saint-Laurent en face de Matane était demeuré libre de glace jusqu’en janvier 1943. C’était la première fois que mon père passait Noël à Saint-Ulric depuis son mariage en 1935. Il avait alors six enfants : Ghislaine, Marcelle, Robert, Colette, Ghislain et Gaston. Ce dernier n’avait pas encore atteint ses neuf mois au 25 décembre 1942.
Andrée Gendron
De bien belles images et de bien belles histoires. Bien racontées.
Très beau texte Marcelle ! Ça a dû être un Noël vraiment mémorable ! Avec un nouveau pyjama rose, en plus !
merci ma tante d’avoir écrit ce beau texte! j’espère qu’il y en aura d’autres, ça m’a rendu heureuse de lire un petit bout de notre histoire familiale.
Merci pour le beau partage. Je suis née à St-Ulric. Mon père Zénon Ouellet et ma mère Marie-Anne Soucy ont acheté une ferme en 1944 à St-Damase.
Mes parents vivaient chez mon grand-père. L’été, mon père travaillait avec mon grand-père sur la ferme à Tartigou et l’hiver il travaillait dans les chantiers, c’est comme cela qu’il a pu s’acheter une ferme. Nous étions 4 enfants, Denise, Etiennette, Monique et Nicole.
Ma mère nous parlait souvent des Paquet et des Gendron, ma grand-mère était une Paquet .
Joyeux Noel et Bonne Année 2021 à vous tous.